Edito du Kiosque : Les fleurs du mal

Des écrans à la rue, la violence essaime ses ravages au fil des jours. Le rajeunissement des auteurs et des victimes questionne nos sociétés abasourdies, impréparées et impuissantes
©AFP

Comme tous les mardis, Mélanie a conduit son petit garçon à l’école maternelle. Comme tous les mardis, une autre maman a couvé des yeux son ado en partance pour le collège. Comme tous les mardis Mélanie accueillait le jeune homme à « Françoise Dolto », l’établissement scolaire commun baptisé du nom de celle dont l’ambition était d’être « un médecin de l’éducation ». Ainsi cheminait la vie scolaire jusqu’en ce mardi, à la croisée funestes de leurs destins. Dans le sas étanche d’un monde parallèle l’adolescent avait édifié sa fascination pour la violence. Une attraction irrésistible, dénuée d’interdits, de jugements de valeur, vers l’acte insoupçonné, inconcevable. Jusqu’à tuer. Convertir naturellement sa pulsion en poignardant une surveillante, une mère, sans compassion, sans regrets, dans la logique glaçante des aspirations profondes de son univers forgé par des algorithmes sans contrôles, diaboliques, déshumanisés. Aujourd’hui, la violence est partout, globale, instantanée et extrême. Elle essaime, quitte ses ruches ordinaires pour s’établir ailleurs, indistinctement, de toutes parts, au gré de nos pratiques, depuis les foyers urbains vers nos rivières et nos montagnes où résonnait, hier encore, l’hymne de nos campagnes, ode à la vie, à la paix. La violence s’adapte et se nourrit des piètres et dérisoires idéologies du moment, de convictions épidermiques flattées par les faiseurs d’ennemis. Par les traceurs du Net et tous les rabatteurs, camelots, à court de langage, de courage, d’ambition collégiale pour préserver l’unité, le groupe, le pacte social qui fait nation. Bien pire encore, s’afficher criminel peut même parfois se révéler comme un indicateur de promotion communément admise par les petites mains recrutées à bas coûts pour exécuter les basses œuvres. Les nouveaux tueurs sont souvent des mineurs, leurs victimes aussi, dans la vraie vie, comme dans l’espace virtuel jusqu’au jour où la fiction devient réalité, où le pouvoir fulgurant s’exprime.

Cortèges de nos échecs

Entre les événements des Champs-Elysées et le drame de Nogent, notre classe politique s’est largement épandue sur le champ médiatique pour façonner de pâteux amalgames, des cataplasmes miraculeux censés apaiser ces récurrentes inflammations. On va soigner à tout prix. Avec plus de justice, de police, de pressions, d’expulsions, de portiques, de détecteurs, de caméras, d’interdictions. On va mobiliser l’armée, nos « GI », comme Trump, pour encadrer nos manifestations, rétablir l’ordre en administrant des remèdes sans principes actifs sur la pathologie à traiter. Des placébos peu bénéfiques si on ignore encore longtemps les symptômes et les causes des maux dont sont gangrénées les jeunes âmes de nos nations. « Ecouter un enfant, c’est aussi écouter sa plainte. On peut lui donner des limites, tout en le respectant et en ne l’humiliant jamais. » écrivait Françoise Dolto pour expliquer sa vision de l’éducation. La non-violence pour éduquer à la non-violence, exemplarité dont s’acquittent gaillardement nos sociétés dominées par la force du verbe, du mensonge et de la compromission. Un vaste monde Potemkine, en trompe-l’œil pour des enfants détachés, esseulés et captifs dans l’ordinaire d’illusionnistes artificieux. Et l’on parle enfin d’un « plan santé mentale » pour prévenir des périls, des actes, des pleurs et des chagrins consacrés dans de redondantes marches blanches, cortèges fleuris de nos échecs.

Georges Chabrier

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