Au cimetière de Saumur reposent parmi des dizaines de frères d’armes Mohamed Saïd Ben, mort en avril 1941, ou Bokar Amadou, mort quelques jours plus tard. L’histoire de chacun de ces braves mériterait d’être contée. Mais pour commémorer la fin du premier conflit mondial, notre attention s’est portée sur des inscriptions tombales effacées par le temps : « À la mémoire du sous-lieutenant Gendron tombé au Casque le 20 mai 1917, ramené en 1934 ». La première ressource est d’abord Internet et le formidable site public « Mémoire des hommes ». En quelques clics, nous trouvons l’avis de décès de Christian. Ses prénoms : Christian, Marie, Louis, Albert. II est né le 9 février 1893 à Lasse dans le Baugeois. Après trois ans de service militaire, il est mobilisé au 117ᵉ régiment d’infanterie du Mans. Le document précise également : « tué à l’ennemi » à la colline de Moronvilliers dans la Marne. Tout commence donc en Sarthe, dans l’enthousiasme général. Nous découvrons dans les Mémoires d’André Bouton, soldat au 117ᵉ RI (Éditions Didier Béoutis) plus de détails sur des moments que Christian a dû vivre. Partout dans Le Mans c’est une émotion étrangement délirante. La foule tente même de lyncher des immigrants italiens et leurs familles en les prenant pour des espions allemands ! Après d’interminables entrainements dans en campagne, l’auteur arrive sur le front en novembre 1914. Premiers combats, premiers cadavres. Terminé l’enthousiasme guerrier : « La guerre est une sorte de cauchemar où les gens de ce monde disparaissent, comme par enchantement. » Blessé à Carnoy dès décembre, André Bouton sera ensuite versé au 115ᵉ régiment d’infanterie de Mamers. Christian, lui, continue au 117ᵉ.
Voyage au bout de l’enfer
Sur le site « Mémoire des hommes », nous trouvons de précieuses informations dans le journal de marche du régiment manceau. Chaque jour, un officier de service note les cantonnements, les combats et les pertes. Dès le 22 août 1914, Christian Gendron plonge dans l’enfer de Virton, un premier affrontement très couteux en vies. Puis sous les coups de boutoir germaniques, c’est le repli français ponctué de nombreux combats dont certains à la baïonnette. En 1916, notre poilu est à l’offensive de Champagne. Avec ses camarades, il tient le site stratégique de la Main de Massiges. Puis le 117ᵉ est muté à Verdun dans le secteur du fort de Thiaumont. En 1917, Christian est de retour en Champagne pour la bataille des monts. Le 20 mai, dès les premiers instants de l’assaut vers la colline du Casque, dans le massif de Moronvilliers, il tombe sous le feu des mitrailleuses ennemies. La littérature militaire est truffée d’images ronflantes. Celles illustrant les exploits du 117ᵉ ne font pas exception. On « s’élance magnifiquement à l’assaut ». Sous « l’ardente impulsion du colonel Pageot… », les troupes écrivent « une page de gloire… ». Mais pour mieux comprendre ce qu’a vécu Christian Gendron, nous contactons l’Association Bretagne 14-18. Elle a publié en octobre 2004 Trois carnets de route de paysans bretons. L’un de ces soldats, Eugène Le Noan, était au 117ᵉ RI.
Cette fois-ci la plume n’est plus vainement lyrique. Nous approchons un peu plus d’une réalité de boue et de mort. Par exemple, en Belgique, des vieillards sont arrêtés pour espionnage ? On les soupçonne de diriger les tirs ennemis. Le Noan suspecte une fin expéditive : « Ils sont emmenés à l’écart… Nous n’entendons pas reparler de ces vieilles gens… » Son carnet est saturé de bombardements, d’assauts meurtriers. Aux abords de la ville d’Andechy, il note : « Une avancée de 200 mètres vers les lignes ennemies qui sont à 500 mètres. » À Verdun, le 15 juillet 1916, « la première vague des 5ᵉ et 7ᵉ compagnies sort et charge sur la tranchée boche… » S’ensuivent des combats au corps à corps, dans les trous d’obus où l’ennemi s’accroche au terrain.
La guerre en image
Enfin avec « Lieutenant à 19 ans », lettres à ses parents (Éditions Point de vue / Société historique du Maine), nous voyons tout ! Henri de Sentilhes, l’auteur, possède un des premiers appareils Kodak portables. Maintenant nous observons la guerre de Christian dans les moindres détails. Les lieux évoqués par les soldats Le Noan et Bouton sont reconnaissables. Peut-être Christian est-il un de ces hommes harassés mais fiers devant l’objectif. Dans le secteur de Perthes-les-Hurlus (février 1915), « c’est éclaboussé de sang… dans les boyaux où l’on marchait sur les cadavres que nous avons passé ces jours horribles », écrit Henri à ses parents. Le genre de lettres que Christian a pu envoyer aux siens. Mais l’ouvrage qui transmet le plus le sentiment de ce qu’ont enduré Christian Gendron et ses camarades est le récit « La Percée » paru dès 1920 (disponible aux éditions Agone). L’auteur, Jean Bernier, a survécu à la boucherie. Cette fois-ci, par la force de son grand talent, nous ressentons toutes les étapes du calvaire des poilus.
Jean Bernier est hanté par ses frères d’armes sacrifiés. Il entend leurs lamentations fantomatiques : « As-tu dit, toi qui es revenu ? » Ou bien oublies-tu ? Toi aussi ? Nous trahis-tu toi aussi ? » Bernier ne trahit pas ses morts. D’une écriture nerveuse, il dit le désespoir de ceux qui avancent vers l’anéantissement. Il détaille l’insouciance des civils, la frivolité des femmes, la bêtise des états-majors avides d’offensives meurtrières pour enfin réaliser la mythique percée du front adverse. Et puis dans les dernières lignes, cette scène d’apocalypse. Le régiment sort des tranchées et se lance sous le feu des mitrailleuses : « À deux mètres de lui, le sol vola silencieusement : des giclures, des éclairs de terre et, à sa droite, le lieutenant (oh ! Il le reconnut bien, lui, le lieutenant : haute et mince silhouette, tournoyait, les bras ballants, et s’affalait, mou, un grand trou rouge à la place de la tête. Favigny clamait sa douleur : « L’lieutnant est tué ! L’lieutnant est tué ! L’lieutnant est tué. » Ce fut sa sensation dernière, car, fondu dans sa section hurlant de toute sa voix rauque qu’il n’entendait pas, il se ruait en avant sans conscience, réfugié dans son cri : hâ â â â â hâ â â â ». Une source familiale retrouvée nous précise que c’est dans des circonstances similaires qu’est mort Christian Gendron, à la tête de sa section, aux premiers instants de la ruée. Lors de sa dernière permission, il avait fait ses adieux à ses parents. « Il n’est pas possible d’en revenir », avait-t-il précisé. Ses restes – accompagnés d’une légion d’honneur à titre posthume – furent retrouvés et rendus à sa famille en 1934.
Cécile Bodeven
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