Dossier. Gratuité des transports en commun : Est-ce une solution ?

À l’heure du réchauffement climatique et d’une hausse de l'inflation, la gratuité peut apparaître comme une solution pour amener un plus grand nombre de personnes à utiliser les transports collectifs (bus, tramways...) et réduire les émissions de CO2. Qu’en est-il pour les collectivités qui l’ont expérimentée ?

Près d’une quarantaine de collectivités ont opté pour la gratuité totale dans leur réseau de transports publics. Quant aux grandes agglomérations (plus d’1,5 million d’habitants), elles pratiquent une gratuité ciblée et indirecte qui se traduit par la prise en charge de tout ou partie des coûts d’abonnement aux transports publics pour certaines catégories de la population. Les arguments mis en avant par les villes qui ont fait le choix de la gratuité pour leur réseau de transports sont multiples :
– optimiser le service dans des réseaux de bus parfois peu fréquentés ;
– assurer le libre accès de tous aux transports sans discrimination de moyens ;
– limiter l’usage de la voiture et fluidifier ainsi la circulation ;
– renforcer la mobilité en général et en particulier l’attractivité des centres villes.

Toutefois, cette mesure fait débat au sein des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) gestionnaires décentralisés des transports : pour certains, la gratuité ferait peser un risque de perte de capacités d’investissement et de développement des transports voire un risque de transfert de ces coûts vers les contribuables.

376 communes desservies par des transports totalement gratuits

Depuis les lois de décentralisation de la gestion des transports, les AOM disposent d’une autonomie de gestion et, à ce titre, choisissent le mode de financement des transports dans leur ressort territorial. Cette compétence peut être déléguée aux AOM présentes sur le territoire national mais aussi à d’autres formes d’autorités territoriales (régions, département, pôles métropolitains…) ou transférée à des syndicats intercommunaux. Au total, il y a 376 communes desservies par des transports gratuits. Parmi elles, quatre agglomérations comptent plus de 100 000 habitants : Dunkerque, Niort, Aubagne, Calais. Neuf font partie de collectivités moyennes (entre 50 000 et 100 000 habitants) : Libourne, Compiègne, Vitré, Castres, Châteauroux, Gaillac, Levallois, Gap et Villeneuve-sur-Lot. Dans 80% des réseaux de transport en commun sans billetterie, l’exploitation est confiée à des grandes entreprises de transport nationales. 20% sont administrés par des collectivités constituées en régie de transport. Certaines collectivités ont ainsi opté pour une gratuité totale pour tous les usagers d’autres ont fait le choix d’une gratuité partielle permettant ainsi de cibler certaines catégories de la population (jeunes, séniors, personnes sans emploi…). Cela peut également être sur des créneaux définis uniquement. La Ville de Nantes par exemple, teste actuellement pour une durée d’un an, un réseau libre et accessible à tous durant les weekends.

Des avis partagés

Lors d’auditions menées dans le cadre d’une mission du Sénat sur la gratuité des transports collectifs, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) mais aussi l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) ont exprimé leur réticence à l’option de la gratuité totale. La FNAUT et l’UTP évoquent le risque d’un affaiblissement des investissements dans les transports sans la ressource de la billetterie et l’impossibilité pour les grandes agglomérations d’adopter ce système compte tenu de leur plus forte dépendance à ces ressources. Ils préconisent davantage une amélioration en qualité et en quantité des transports et une gratuité solidaire et sociale ciblée sur les revenus les plus faibles. Ils objectent par ailleurs qu’une gratuité ouverte à tous, y compris aux non-résidents, feraient porter le coût des transports sur les seuls contribuables locaux.

Une enquête d’opinion réalisée auprès de la population de Dunkerque montre une large satisfaction, en particulier des jeunes dunkerquois de 15 à 25 ans, à l’égard de la gratuité totale effective depuis 2018. Les bénéfices relevés par l’Observatoire des villes du transport gratuit au regard de l’enquête sont les suivants : un effet de gommage des inégalités sociales ; une plus grande mobilité ; une efficacité accrue des services de transport qui ont connu un regain de fréquentation ; une levée de certains freins liés à l’usage du bus payant et à la « crainte » d’être contrôlé ; une diversification des choix de transports en faveur du bus et une plus grande mobilité des jeunes ; une réappropriation par les jeunes des transports collectifs. Mais l’argument de la gratuité semble avoir eu moins de prise sur les automobilistes – catégorie souvent plus âgée – plus attachés à leurs habitudes de déplacement, a fortiori dans une ville où « l’usage de la voiture est encore facile » comparativement aux grandes agglomérations. L’enquête constate cependant que les jeunes sont moins empressés à passer le permis de conduire, marquant une rupture avec leurs parents.

La gratuité au détriment de la qualité ?

La consultation menée dans le cadre de la mission d’information du Sénat montre que si les usagers sont très largement favorables à l’idée de la gratuité totale des transports (83%), ils préféreraient voir une amélioration de l’offre existante. Sur le plan économique la soutenabilité de la gratuité totale pour chaque AOM est fonction de la part de recettes de la billetterie dans le financement des transports remarque l’Observatoire des villes du transport gratuit. En moyenne la billetterie représente 30% du coût final des transports mais avec de fortes disparités allant de 10% pour les intercommunalités de taille moyenne à près de 40% pour les réseaux de plus de 400 000 habitants. L’investissement nécessaire à l’entretien du matériel et des infrastructures est principalement financé par l’endettement des communes et par les contributions des entreprises publiques ou privées via le versement mobilité (contribution des entreprises de plus de dix salariés).

Par ailleurs, la Fondation Jean Jaurès a analysé l’impact du passage à la gratuité sur la quantité et la qualité des équipements dans les villes qui l’ont mise en œuvre. Elle observe différentes situations :
– une réduction de l’offre comme à Niort, mais avec un ajustement des ressources en transport disponible (suppression de certains doublons liés à une double offre municipalité – région) ;
– une stagnation de l’offre qui résulte de la volonté des municipalités de minimiser l’impôt des entreprises afin de gagner en attractivité économique. C’est le cas de la ville de Vitré qui a cantonné la gratuité à la seule destination des scolaires, hors transport scolaire. Pour les salariés l’offre en transport reste payante ;
– ni réduction ni stagnation de l’offre dans certaines villes comme Dunkerque, Gap ou Aubagne où le réseau s’est développé en qualité et en quantité, mais où la contribution financière des entreprises s’est accrue.

 

 

 

 

Commentaires 4

  1. Bernard says:

    La gratuité n’existe pas, au lieu que ce soit les utilisateurs qui paies, c’est le contribuable, ce qui est totalement inadmissible.

    • Philippe says:

      Bien sûr que c’est admissible. Ce n’est pas une dépense inutile, c’est un investissement pour la qualité de vie de tous sur le territoire qui fait ce choix. Heureusement que des habitants comprennent et soutiennent les investissements communs, sinon ce serait du chacun pour soi.

  2. contribuable says:

    Le coût de la « gratuité » pour tous ne peut-être supportable que s’il est partagé entre tous. C’est à dire : les contribuables (qu’ils soient usagers ou éventuels utilisateurs) Je cherchais le mot exact…j’ai trouvé. Je crois que ça s’appelle la solidarité

    • Vous avez dit équité territoriale ? says:

      Sauf qu’aujourd’hui, et encore plus avec la récente augmentation de 33% de la taxe, ce sont les employeurs du saumurois qui financent une grande part de la mobilité, sans pour autant bénéficier de services supplémentaires pour leurs salariés. Cherchez l’erreur …

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