Edito du Kiosque : loin des yeux, loin du cœur ?

Les caïds de la drogue seront bientôt embastillés à Saint-Laurent-du-Maroni, site historique du bagne de Cayenne. Eloignés, coupés de toutes connexions avec l’extérieur, ils ne devraient plus régner sur les filières criminelles. C’est ce que pense l’Etat.
Photo AFP

« Oh, mon pauv’ monsieur, les temps changent. V’là qu’les patrons ne pourront bientôt plus bosser en paix de leurs pied-à-terre éphémères mis gracieusement à disposition par l’administration française ». Terminés le télétravail et les visioconférences pour gérer les relations humaines, les plannings des directions techniques et commerciales assurant la bonne prospérité de l’entreprise. Isolés du monde extérieur, les auto-entrepreneurs du crime organisé vont donc devoir s’adapter pour gérer leurs business, les exécutions, l’approvisionnement, la distribution, la mise en sécurité des réseaux et les mirifiques profits générés par leurs trafics en tous genres. De nouvelles prisons vont redevenir des établissements clos pour les délinquants majeurs, en l’occurrence les narcotrafiquants, gros employeurs de la sphère scélérate. Ce qu’elles auraient dû demeurer si les conditions de détention, et notamment la surpopulation, n’avaient obligé à une mansuétude adaptée à la paix sociale. Les mesures annoncées par Gérald Darmanin ont fait émoi dans le lanterneau des organisations dont les cadres et employés, à défaut de faire grève, ont semé le chaos en incendiant et caillassant les établissements, en ciblant de menaces les personnels pénitentiaires. En assauts organisés, la violence s’est propagée pour prévenir d’une lutte acharnée contre l’Etat répressif, voulu et assumé par le binôme installé aux ministères de l’Intérieur et de la Justice. L’exil au grand large est à la mode. Si Wauquiez souhaitait exporter les OQTF vers les froideurs du Groenland, Darmanin, quant à lui, a marqué sa préférence pour la moiteur de la forêt équatoriale guyanaise. Comme au bon vieux temps, à Saint-Laurent-du-Maroni, site historique du bagne de Cayenne déserté par les derniers forçats en 1953. Dans un quartier de haute sécurité pour que cette « prison serve à éloigner durablement les têtes de réseaux du narcotrafic » qui, de fait, « ne pourront plus avoir aucun contact avec leurs filières criminelles ».

Pieuvre tentaculaire

L’idée n’a pas tout à fait séduit les élus locaux dénonçant le retour d’un passé peu glorieux. Malgré tout le principe est acté, mais la pieuvre tentaculaire est dotée de pouvoirs d’adaptation hors du commun, servis par des moyens financiers et humains inexhaustifs, le génie d’une anticipation souvent fatale aux ambitions administratives. Pour l’heure, les vrais caïds de la drogue ne garnissent pas vraiment nos geôles plutôt fourmillantes de bras armés, de dealers aussi nombreux qu’éphémères, de survivants immunisés contre toutes formes de peur et d’humanité. Les nouvelles forteresses sont des cataplasmes apaisants pour l’opinion publique, mais inopérants pour soigner et éradiquer les affections profondes gangrénant nos rues, nos sociétés. On ne creusera plus de tunnels, on ne sciera plus de barreaux, ne s’évadera plus par hélicoptère, comme Michel Vaujour, de la Santé en 1986. Nos emblématiques serial killers sont à l’ombre, chez nous, parfois depuis longtemps. A l’instar d’Emile Louis, Francis Heaulme, Michel Fourniret, Guy Georges ou encore « Géronimo » Joseph-Thomas Recco, enfermé depuis 62 ans. A 91 ans, il a déposé sa 21e demande de remise en liberté pour « mourir libre et dans son lit ». Quant aux quelques centaines de barons de la drogue auxquels il sera bientôt proposé une villégiature de longue durée en jungle guyanaise, ils se déliteront dans l’oubli, la repousse prospère d’une nature déliquescente qui a horreur du vide.

Georges Chabrier

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