Gabrielle Dechézelles est une femme exceptionnelle qui, non seulement a vécu volontairement dans l’ombre de son mari, mais qui a adhéré toute sa vie à ses idées. Dans l’œuvre immense laissée par les Bouët, il est quasiment impossible de faire la part de ce qui a été écrit par l’un ou l’autre. Gabrielle naît le 24 septembre 1885 à Assi-Bou-Nif, une petite commune située à 15 km d’Oran dans ce qu’on appelle alors l’Algérie française. Son père est originaire de la Touraine. Il est instituteur et franc-maçon, on le surnomme « le Rouge ». Il a été déplacé d’office dans les colonies pour ses opinions politiques et son hostilité aux procédés colonialistes. Gabrielle est la onzième d’une famille de douze enfants. Monsieur Dechézelles meurt à 49 ans, en 1891, alors que Gabrielle n’a que six ans. La mère doit travailler pour subvenir aux besoins de sa progéniture. La famille rentre en France et s’installe à Saumur. Gabrielle, malgré son désir de poursuivre ses études pour devenir institutrice comme son père, doit quitter le collège et se retrouve comptable dans une épicerie de gros.
Un jour, l’instituteur de son neveu vient prendre des nouvelles de celui-ci à la maison. C’est à cette occasion qu’elle rencontre Louis Bouët. Aidée par celui-ci, elle retourne au collège après trois ans d’interruption et parvient à décrocher le Brevet supérieur. Elle épouse Louis et devient ainsi madame Gabrielle Bouët. Va débuter alors pour le couple une vie de lutte syndicale destinée à améliorer les conditions d’existence des instituteurs et institutrices laïques.
Depuis la loi Falloux, votée en 1850, les écoles primaires sont placées sous la surveillance de l’Eglise. En 1905, Gabrielle Bouët a été nommée à Longué. Elle se heurte aussitôt à l’autoritarisme d’une directrice, mademoiselle Brault, qui la juge « indésirable ». Dès son arrivée, Gabrielle Dechézelles, toute débutante, se voit invitée à conduire chaque dimanche ses élèves à la messe, au catéchisme et aux vêpres. On lui demande également de faire réciter les prières dans sa classe ! Il faut noter que c’était encore une pratique assez courante à cette époque. Rappelons qu’il faudra attendre 1906 pour que l’on enlève les crucifix dans toutes les classes des écoles publiques du Maine-et-Loire. Pendant trois mois, Gabrielle est harcelée par la directrice soutenue par l’Inspecteur d’académie. Finalement, on lui propose un compromis : comme elle attend un bébé, on lui offre un congé rémunéré de six mois et un autre poste à la rentrée. A cette époque, les instituteurs créent des syndicats pour défendre leur cause. Le ministre de l’Instruction publique exige qu’ils se dissolvent d’eux-mêmes. Cette décision est bien sûr contestée par les intéressés qui contestent ce droit que s’est arrogé le ministre. A cette occasion, Gabrielle et Louis Bouët, faute de moyens techniques, écrivent deux cents lettres manuscrites à leurs collègues de toute la France ! En 1910, à Marseille, est lancée une nouvelle revue L’Ecole Emancipée à laquelle vont beaucoup collaborer Louis et Gabrielle.
Le 28 juillet 1914, la guerre contre l’Allemagne est déclarée. Toutes les organisations politiques et syndicales oublient leurs griefs contre le gouvernement et, comme l’écrira Louis Bouët « se mettent à hurler avec les loups ». Ceux qui ne participent pas à l’enthousiasme général sont rapidement considérés comme des suspects. C’est ainsi que Gabrielle Bouët – Louis étant alors mobilisé – est accusée par le maire de Saint-Georges-Châtelaison, où le couple habite et où Gabrielle enseigne, d’avoir tenu des propos antimilitaristes lors de la distribution des prix le 1er août 1914. Heureusement pour elle, l’Inspecteur primaire de Saumur chargé de l’enquête sur le bien-fondé de l’accusation, constate qu’elle est sans fondement et l’institutrice est lavée de tous soupçons. Louis Bouët est réformé dès le début du conflit.
Clemenceau, qui avait été un farouche adversaire des syndicats de fonctionnaires avant la guerre, change complètement d’optique et se met, au contraire, à les encourager. On accorde aux fonctionnaires le droit de se syndiquer. Du côté syndical, on flaire un piège pour amadouer la classe ouvrière. Le Tigre veut gérer la contestation populaire.
De 1920 à 1925, la famille Bouët habite au 15 rue Fardeau à Saumur. En 1920, Gabrielle Bouët a de sérieux ennuis avec la directrice de l’école de filles de la rue Cendrière à Saumur, mademoiselle Guilbault. Cette directrice est un véritable tyran qui fait la vie dure à ses collaboratrices. Elle bénéficie du soutien de l’Inspecteur d’académie qui savait ce qu’il faisait en nommant Gabrielle dans cette école. A l’issue de cinq mois dans l’établissement, elle est mutée dans une école à classe unique très chargée à Linières-Bouton à trente kilomètres de Saumur, où son mari reste en place. A l’issue de l’année scolaire, l’Inspecteur d’académie, monsieur Marcel Sarthou qui a juré la perte des Bouët, révoque Gabrielle et Louis. En décembre 1920, le Parti communiste Français voit le jour au congrès de Tours. L’année suivante, la section syndicale de la Fédération Unitaire de l’Enseignement des Bouches-du Rhône ne veut plus s’occuper de L’Ecole émancipée, c’est le Maine-et-Loire qui prend le relais avec Gabrielle et Louis Bouët à la direction. Dans la revue, Gabrielle assure le chapitre de l’arithmétique au cours moyen pendant que Louis assure l’instruction civique.
Après de multiples démêlés avec l’Inspection, Gabrielle est réintégrée dans sa fonction le 18 novembre 1924, mais elle est nommée à Vernantes, à 22 km de son domicile ! Louis Bouët profite du contexte favorable pour demander sa réintégration. Il est entendu car en janvier 1925, Gabrielle et Louis Bouët sont enfin nommés dans le Baugeois au poste double de Lézigné. C’est loin de Saumur, ce qui va leur poser problème pour la rédaction et la gestion de L’Ecole émancipée, mais ils acceptent quand même leur nomination car dans cette localité, il y a un bureau de poste et une gare de chemin de fer. Très vite, ils rencontrent des difficultés avec le curé. En décembre 1925, le préfet les informe qu’il les déplace d’office. Ils se retrouvent à Méron, près de Montreuil-Bellay. En 1927, Louis quitte le Parti communiste. Gabrielle en est exclue deux ans plus tard. Etant alors en poste à Méron, ils doivent se rendre chaque mercredi à Saumur à vélo, avec la petite dernière, Camille, sur le porte-bagages, pour fabriquer leur revue. Avec leurs camarades, ils se retrouvent le mercredi soir, rue du Temple, dans une maison inhabitée le reste de la semaine. Ils y dorment pour être à pied d’œuvre le lendemain matin.
En 1933, ils demandent à bénéficier de la retraite. L’Administration s’empresse, cette fois, de leur donner satisfaction. Trois ans plus tard, les Bouët passent le relais pour la rédaction et la gestion de l’Ecole émancipée qui retourne à Marseille.
En 1937, un drame frappe la famille Bouët : leur fils Lucien meurt de la tuberculose à 32 ans.
Les Bouët s’installent à la Cité des Moulins, au n° 3 avenue Victor Hugo. Ils sont locataires des premières maisons construites par l’office H.B.M. de Saumur (créé par Robert Amy).
Louis Bouët est inscrit dans le carnet B depuis 1914. On le considère comme un espion, ce qui lui vaut d’être arrêté le 13 juin 1940 et placé en résidence surveillée au château de Sablou en Dordogne. Le camp ferme à la fin de l’année. Louis rentre chez lui après huit mois d’internement, très affaibli, d’une maigreur effrayante. La même année, c’est au tour de leurs filles d’avoir des ennuis. Elsie, institutrice, est déplacée en Gironde. De son côté, leur seconde fille, Camille, et son mari Henri Frossard sont mutés dans les Landes.
Mais la guigne n’a pas dit son dernier mot, Elsie est frappée d’une maladie qui l’emportera deux ans plus tard, à l’âge de 57 ans. Louis Bouët ne se remettra pas de la mort de sa fille. Il meurt le 09 juillet 1969.
Quelques années après, l’association « Les Amis de Louis Bouët » publie le livre Trente ans de combat syndicaliste et pacifiste. Il est signé Louis Bouët, mais il a, en réalité, été entièrement écrit par Gabrielle après la mort de son mari.
En 1976, Gabrielle fait une mauvaise chute. Elle quitte Saumur pour s’installer chez sa fille Camille à Biarritz. Elle meurt le 15 janvier 1977, à l’âge de 92 ans dans cette ville où elle est inhumée.
Bibliographie :
– BOUËT Louis, Trente ans de combat, syndicaliste et pacifiste, L’Amitié par le Livre, Blainville-sur-Mer, 1969.
– BLANDIN Gino, Louis et Gabrielle Bouët, in Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois, n° 169, Saumur, mars 2020.
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