On dit souvent qu’une image vaut mille mots, cette expression, Fortu l’a prise au mot ! En effet, dans « BAI », c’est le nom du livre, on ne trouve que des illustrations. Aucun texte, si ce n’est au début pour contextualiser les choses : « BAI, Brain Artificial Intelligence. BAI est une entreprise spécialisée dans le métavers et les intelligences artificielles. Dans un monde en mutation, rempli d’incertitudes, de conflits idéologiques, où le changement climatique, la diminution des ressources terrestres et la pollution deviennent notre quotidien, BAI vous propose de changer de réalité, de vivre la vie que vous méritez. Donnez-nous les clés de votre cerveau et laissez-vous porter vers une vie de rêve… ». Le décor est posé ! Cette idée originale lui vient « d’un voyage au Portugal où j’ai trouvé un livre, portugais, sans texte. J’ai été surpris par l’intelligence du procédé qui permet de faire comprendre malgré tout un message et de laisser libre cours à l’imagination, à l’interprétation et à de multiples compréhensions », explique-t-il.
« Les mondes virtuels sont la drogue moderne »
Amateur et curieux des nouvelles technologies, Fortu s’intéresse ici à la question de l’intelligence artificielle et des mondes numériques. Des mondes virtuels où ses personnages s’évadent pour échapper à la réalité d’un monde dystopique où tout s’écroule et où les dernières bribes d’humanité ne sont plus qu’artificielles. « Cette idée a germé il y a maintenant trois ans lorsque les premières lunettes de réalité virtuelles ont commencé à faire leur apparition. J’ai été marqué de constater combien nous tous, nos enfants et moi-même, avons tant de mal à nous décoller de nos écrans et de nos téléphones qui font aujourd’hui partie intégrante de nous-mêmes. J’ai pensé une dystopie où chacun préfère plonger dans un monde imaginaire pour se sauver et se sentir mieux, où chacun cède à la facilité plutôt que d’affronter la triste réalité », raconte Fortu. Une dystopie ? Peut-être… Mais si les curseurs sont certes poussés à leur triste maximum, le monde imaginé par le dessinateur saumurois n’est pourtant pas sans rappeler certaines dérives actuelles qu’il questionne à travers ce livre. « On sait aujourd’hui que tant de choses comme les réseaux sociaux, les fausses informations etc. sont mauvaises pour nous. Et pourtant, par confort, par facilité, parce que cela nous fait du bien, on continue de vivre avec. On pourrait s’en débarrasser et vivre aussi bien, voire mieux, sans. C’est un peu la même chose dans BAI où les mondes virtuels sont une drogue moderne qui a remplacé toutes les autres », commente-t-il. BAI nous fait également réfléchir sur le poids et le pouvoir de certains grands groupes de la tech au-dessus de tout et surpuissants. Encore un parallèle entre le livre et notre société actuelle. « Dans mon livre, la société exploite les personnes et gagne de l’argent grâce à elles, alors même que celle-ci ne s’en rendent pas compte, ou ne veulent pas le voire en tous cas. »
La création supplantée par la machine ?
En tant qu’artiste et usagers de ces nouvelles technologies, Fortu s’intéresse également aux limites de celles-ci. Et plus particulièrement celles de l’intelligence artificielle. Quel avenir pour les dessinateurs qui pourraient, demain, être supplantés par la machine en quelques clics comme tant d’autres professions ? « Je ne pense pas qu’il faille craindre les nouvelles technologies. Ce sont des outils auxquels il faut s’adapter et qu’il nous faut appréhender. Je ne suis pas particulièrement inquiet. Oui, cela remplacera probablement des métiers, mais cela en créera probablement d’autres avec de nouveaux usages. Cela causera probablement du tort à certains auteurs, notamment les plus mauvais qui n’auront pas de valeur ajoutée par rapport à l’IA. Je pense cependant qu’il faudra poser certaines limites, certaines contraintes techniques et des obligations. Il faudrait que le style d’un artiste, sa patte soit sa propriété intellectuelle et qu’on ne puisse reproduire de Sempé ou du Fortu en quelques clics. Mon style, c’est 30 ans de travail derrière moi. Il faudrait réguler avant que les choses ne nous échappent… »
La rédaction le conseille vivement !
BAI est un des coups de cœur de la rédaction pour qui cet ouvrage s’inscrit dans la droite ligne des bandes dessinées qui portent des thématiques centrales avec intelligence (humaine) et finesse. L’absence de mots n’enlève en rien à la compréhension du propos, bien au contraire. Fortu invite à s’interroger sur nos habitudes, nos consommations, nos comportements et notre responsabilité quant aux dérives des nouvelles technologies. Où sont les limites ? Quelles sont nos limites ? Où s’arrête l’humanité et où commence les mondes virtuels ? Un ouvrage que nous recommandons à tout un chacun, dès l’adolescence. Vous pouvez le retrouver en ligne sur le site de l’éditeur notamment, où dans les librairies saumuroises (Le Livre à Venir, Espace Culturel de Leclerc).
Résumé
Dans un monde où tout s’effondre, comment ne pas succomber à la tentation de la réalité virtuelle ? BAI, Brain Artificial Intelligence, semble en effet offrir une échappatoire providentielle au quotidien de plus en plus rude qu’il s’agit d’affronter. Le problème, c’est que dès lors qu’on goûte à BAI, il semble impossible de s’en passer. Puissante réflexion sur l’intelligence artificielle, cette dystopie est un véritable cri d’alerte face aux technologies qui s’immiscent plus que jamais dans notre quotidien et bouleversent fondamentalement les relations humaines.
A propos de l’auteur
Fortu est né à Saumur. Après des études aux beaux-arts d’Angers et un diplôme supérieur d’expression plastique, en poche, il devient graphiste et illustrateur. Son travail est paru aussi bien dans des magazines comme Tchô!, Spirou, Psikopat, Fluide glacial que pour la presse, Télérama, Le Monde, l’Humanité, Alternatives Economiques... Il publie également un album jeunesse, Qui est ko? aux éditions Glénat et trois bandes dessinées aux éditions Delcourt, Saudade, La Vie de ma Mort et Lover Dose chez Expé Éditions. Plus d’infos sur https://fortuworld.com/.
Infos pratiques : « BAI » de Fortu. Parution le 1er octobre 2025 aux éditions Cambourakis. 128 pages / 200 x 200 mm. 15 euros TTC. ISBN 978-2-38669-077-8. https://www.cambourakis.com/tout/bd/bai/.
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