Les « commémos » sont évidemment des moments d’hommage aux combattants. Les paroles sont pesées, les discours officiels. L’atmosphère de recueillement ne peut rendre la tension qui régnait en Algérie à la fin de ce qu’on appelait alors pudiquement « les événements ». Il s’agissait bien d’une guerre de la décolonisation, d’une guerre fratricide. Tayeb Kacem, président de l’association Harkis 49 se souvient : « mon père, engagé dans les gardes mobiles de sécurité avait été gravement blessé dans un accrochage avec l’ennemi… Il avait quasiment les tripes à l’air… Un peu plus tard, en convalescence, à l’hôpital, un de ses agresseurs du FLN (Front de libération nationale) s’est glissé à son chevet… Mon père s’est demandé un instant si ce n’était pas pour l’achever. C’était un de ses cousins ! »
Amnésie et hommages
Partout en France après d’interminables décennies d’amnésie les hommages officiels aux harkis sont enfin inscrits au calendrier de la république. Cette visibilité ne se déploie pas encore avec l’éclat mérité. La France de 2025 travaillée par les communautarismes et les interprétations antagonistes d’un même passé tragique use de diplomatie. Mais les sourdes tensions à l’oeuvre derrière les euphémismes des responsables aboutissent souvent à des profanations. Ces deux dernières années, tout particulièrement depuis le vote d’une loi ou la responsabilité de l’Etat dans la tragédie des harkis est actée, plusieurs monuments et stèles ont été dégradés, en Avignon, à Louvroil, à Bias, à Bourges, à Lille…
Honneur aux combattants
Malgré tout, la voix des harkis se fait mieux entendre. Il aura fallu attendre 2021, soit soixante ans après la tragédie, pour qu’un président de la république émette une demande de pardon officielle. La loi de 2022 prévoit la réparation des préjudices. Les élus et les fonctionnaires rappellent désormais en place publique que ces français musulmans nés sur la terre algérienne s’engagèrent en grand nombre sous la IVème puis la Vème république. Et qu’au sein de l’armée française ils furent des combattants de grande valeur, irremplaçables sur le terrain.
« Réfoulés sur l’Algérie »
À compter du cessez–le-feu du 19 mars 1962 puis les accords d’Evian – accords incluant la sauvegarde des supplétifs – les massacres et les tortures les plus barbares se multiplièrent. Le 12 mai de cette année, Pierre Mesmer, ministre des armées livrait ces frères d’armes au couteau des bourreaux : « …Seront refoulés sur l’Algérie tous les anciens supplétifs qui arriveraient en métropole sans autorisation de ma part… ». Les engagés et leurs familles qui parvinrent à rejoindre la France furent parqués dans des camps et traités en parias autant par les populations locales que par les travailleurs immigrés algériens arrivant au même moment.
La paroles des harkis et de leurs enfants
Les enfants de harkis luttent depuis longtemps pour faire entendre leur parole singulière. Elle restitue une vérité qui rend compte avec émotion des déchainements de haine et de mépris endurés par leurs pères. Parfois une seule anecdote en dit plus long que bien des discours convenus. Tayeb Kacem qui avait six ans à l’époque se souvient : « …Et puis un jour, à l’époque du cessez–le–feu, au réveil, nous nous sommes aperçu que tous les militaires français avaient disparu. Mon père était loin d’être remis de ses blessures. Il était forcément connu par tout le voisinage comme supplétif. Lui et toute notre famille étions à chaque instant en danger de mort. Mon père a juste eu le temps de couvrir ses blessures encore ouvertes avec une simple couverture. Nous nous sommes cachés dans une masure dans un autre quartier. Nous étions très isolés mais un peu aidés par des membres de la famille dont certains étaient du FLN. Et puis un jour sur notre porte quelqu’un a inscrit à la craie le mot HARKI. Mon père ne savait pas si pour notre sécurité il fallait maintenir ou effacer cette inscription. » Au même moment plus de 150 000 hommes, femmes et enfants étaient massacrés. Plusieurs dossiers importants sont portés par les enfants issus de la communauté harki : la juste reconnaissance des souffrances et des sacrifices, la transmission de la mémoire, la question des réparations, l’amélioration de la législation, la création d’une fondation mémorielle.
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