Dossier. Nucléaire : Pourquoi l’IRSN refuse la fusion avec l’ASN

Le 8 février dernier, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a annoncé vouloir regrouper plusieurs entités en charge du contrôle des activités nucléaires et des radiations en France notamment l’institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).

Ce lundi 20 février 2023, de nombreux salariés de l’institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN) étaient en grève suite aux annonces récentes du Ministère de la Transition Ecologique. Ils protestent contre la disparition annoncée de leur institution dans le cadre d’un projet de fusion avec d’autres entités, comme l’ASN, autorité de sûreté nucléaire. Le ministère de la Transition énergétique explique que cette décision prise début février, lors du Conseil de politique nucléaire réuni autour d’Emmanuel Macron pour amorcer le plan nucléaire de la France avec notamment la construction de 6 EPR (réacteur pressurisé européen) nouvelle génération. Selon le Gouvernement, l’objectif de cette fusion est de « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision » et renforcer « l’indépendance du contrôle ». Le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, est quant à lui également allé dans ce sens, assurant que cela permettrait plus de fluidité tout en conservant une pleine autonomie. Mais, la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN ne l’entend pas de cette oreille et a souhaité s’exprimer suite au communiqué du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires en date du 8 février 2023 sur l’évolution de l’organisation du contrôle et de la recherche en radioprotection et sûreté nucléaire​. Elle exprime son profond désaccord avec le projet de démantèlement de l’IRSN.

Le communiqué

« La commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN a pris connaissance le 10 février 2023 du message de la Présidente de l’Institut l’informant ainsi que le personnel de l’Institut, du projet de démantèlement de l’IRSN à brève échéance. Ce projet viserait à répondre à l’objectif d’accélération de la transition énergétique et écologique affiché par le gouvernement et la Présidence de la République, ainsi que l’attestent d’une part le communiqué présidentiel suivant la réunion du Comité de politique nucléaire du 3 février 2023, et d’autre part le positionnement des ministères concernés. La Commission considère que ce projet est de nature à remettre en cause les principes de la charte d’éthique et de déontologie de l’IRSN : excellence, indépendance, partage et anticipation. L’affaiblissement du lien entre expertise et recherche qui fait l’originalité de l’Institut fragiliserait ainsi toute l’expertise nucléaire française. De plus, la confusion entre expertise et prise de décision au sein d’une même entité constituerait un recul considérable puisqu’il priverait d’indépendance cette expertise. La Commission note que l’abandon de cette indépendance ne manquerait pas d’être très mal perçue au-delà de nos frontières. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a été conçu aussi comme un élément central pour assurer la confiance que les citoyens peuvent mettre dans la sûreté de l’énergie électronucléaire. Les enjeux liés au renouvellement du parc électronucléaire français et à la prolongation de la durée de vie des centres d’exploitation électronucléaires, auraient dû conduire à renforcer les moyens alloués à l’indépendance et à la compétence du dispositif en charge de la radioprotection, l’Institut actuellement. L’intérêt de regrouper radioprotection et sûreté dans une seule entité à l’origine de l’IRSN était de mettre en place un institut expert de l’ensemble des risques nucléaires, y compris ceux liés à la défense, indépendant des décideurs et des promoteurs des technologies nucléaires. L’Institut a su déployer une expertise pluraliste dont il garde la mémoire. Il est fortement impliqué dans le dialogue avec les parties prenantes et la société civile. Ces succès n’ont été possibles que du fait qu’il n’est pas l’entité décisionnelle en matière de sûreté nucléaire. La séparation de l’expertise et de la décision fonde la confiance des parties et explique notamment la réussite de la mise en œuvre de la charte d’ouverture à la société de l’Institut et la reconnaissance de son modèle au plan international.

La recherche participe de l’excellence de l’Institut

La recherche de l’IRSN est reconnue comme de très haut niveau. Ce lien avec la recherche, qui inclut l’ensemble des meilleurs spécialistes du domaine à l’échelle planétaire, lui permet d’alimenter son expertise par les éléments de connaissance et les technologies les plus actuelles. Il permet de développer des programmes pour résoudre les questions encore non ou mal résolues ou adapter les méthodes d’évaluation des risques aux nouveaux enjeux et à l’évolution des technologies nucléaires. L’IRSN accueille ainsi en son sein des experts de très haut niveau, issus de la recherche et désireux de poursuivre une carrière dans le domaine de l’expertise ou même en exerçant parallèlement les deux métiers d’expert et de chercheur. L’IRSN participe à des actions de recherche communes avec les industriels strictement encadrées par des règles déontologiques. Il en est de même avec les agences et établissements publics en charge de la décision (ASN), du développement et la mise en œuvre des solutions pour la gestion des matières et déchets radioactifs (Andra), de la recherche sur les technologies nucléaires (CEA) ou des organismes chargés d’autres types de risques (Ineris, BRGM) et les agences de santé publique (Anses, Santé publique France).

L’indépendance de l’institut est une garantie pour la qualité de son expertise

Comme la compétence ou l’expertise, l’indépendance ne se décrète pas mais résulte d’une culture de l’organisation qui ne peut prospérer que dans un environnement institutionnel qui la favorise. L’expert de l’IRSN ne voit en effet pas son action gouvernée par son opinion sur l’intérêt de développer l’énergie nucléaire ou non. N’étant pas en situation de contribuer à la décision, il se concentre sur les risques. Son seul objectif est de les évaluer le plus précisément possible, en étant exhaustif et en s’appuyant sur des données précises et des faits avérés. Le principe de séparation de la décision et de l’expertise fonde la bonne gouvernance moderne telle qu’elle est mise en valeur par les agences intergouvernementales telles que l’OCDE, en éradiquant par construction les possibles conflits d’intérêt.

La confiance dans la sûreté nucléaire repose sur celle de l’expertise délivrée par l’institut

L’ouverture à la société amène l’IRSN à être en contact avec toutes les personnes physiques ou morales qui ont un lien avec le monde du nucléaire. Ainsi l’IRSN rencontre régulièrement toutes les associations qu’elles soient favorables ou opposées au nucléaire. Celles-ci lui font part de leurs questionnements et partagent leur expertise, auxquels l’IRSN apporte des réponses, souvent sous la forme de nouvelles investigations. L’IRSN est enfin un fournisseur de données indépendant et objectif. Il a par exemple rétabli la vérité sur les retombées du nuage de Tchernobyl, ce qui a considérablement accru sa crédibilité. Les deux exemples des risques de leucémie au voisinage de l’usine de la Hague et des retombées de Tchernobyl illustrent le rôle de l’IRSN dans la « pacification » des crises permises grâce à la crédibilité de son expertise et son sens du dialogue. Les industriels viennent chercher auprès de l’Institut une connaissance des risques sans biais. Les associations peuvent s’exprimer librement sur leur vision des risques puisqu’elles savent pouvoir être écoutées, que leur opinion et leurs arguments peuvent être pris en compte pour l’évaluation des risques et qu’en aucun cas cela constitue une caution sur les résultats puisqu’il n’y a pas d’enjeu décisionnel. Alors que l’IRSN a réussi à développer au cours de son histoire une culture de l’expertise nucléaire indépendante et ouverte, le projet de démantèlement de l’Institut fait courir le risque de fragiliser considérablement cet acquis et donc la confiance qui lui est associée au moment même où la France fait le choix de développer l’énergie électronucléaire pour assurer la transition énergétique et écologique. »

A propos de l’IRSN

L’IRSN est placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Transition écologique, du ministre des Armées, et des ministres chargés de la Transition énergétique, de la Recherche et de la Santé. Le champ de compétences de l’IRSN couvre l’ensemble des risques liés aux rayonnements ionisants, utilisés dans l’industrie ou la médecine, ou encore les rayonnements naturels. Plus précisément, l’IRSN exerce ses missions d’expertise et de recherche dans les domaines suivants : Surveillance radiologique de l’environnement et intervention en situation d’urgence radiologique ; Radioprotection de l’homme ; Prévention des accidents majeurs dans les installations nucléaires ; Sûreté des réacteurs ; Sûreté des usines, des laboratoires, des transports et des déchets ; Expertise nucléaire de défense. Les activités de recherche de l’IRSN, réalisées le plus souvent dans le cadre de programmes internationaux, lui permettent de maintenir et de développer son expertise et d’asseoir sa stature internationale de spécialiste des risques dans ses domaines de compétence. Pour aller plus loin.

A propos de l’ASN

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, est chargée de contrôler les activités nucléaires civiles en France. L’ASN exerce ses missions dans le respect de 4 valeurs fondamentales : la compétence, l’indépendance, la rigueur et la transparence.
Son ambition est d’assurer un contrôle du nucléaire performant, impartial, légitime et crédible, reconnu par les citoyens et qui constitue une référence internationale. L’ASN informe le public et les parties prenantes de son activité, notamment à travers ses publications et son site Internet. Par ailleurs, son rapport sur la sûreté nucléaire et la radioprotection lui permet de rendre compte chaque année, en particulier au Parlement, de son activité, de ses missions et de l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Les activités contrôlées par l’ASN sont toutes celles qui comportent un risque d’exposition des personnes aux rayonnements ionisants, émanant soit d’une source artificielle, soit d’une source naturelle. Elles vont des installations nucléaires, comme les centrales nucléaires d’EDF ou les établissements d’Orano ou Framatome, aux installations médicales, en passant par le transport de matières radioactives et les installations industrielles et de recherche utilisant des rayonnements ionisants. L’ASN contrôle les opérations de mise en sûreté de l’installation prises par l’exploitant. Elle informe le public de la situation. L’ASN assiste le Gouvernement. En particulier, elle adresse aux autorités compétentes ses recommandations sur les mesures à prendre au titre de la sécurité civile. Pour aller plus loin.

Commentaires 1

  1. Claudusio says:

    On en crève de toutes ses Administrations en doublons où chacun défend ses avantages et sa paie , voir les gros fonctionnaires de Bercy à + 20.00 € par mois . On devait faire des économies ce n’est toujours pas fait , et ce n’est pas demain la preuve …Et les Ecolos que deviennent ils ?

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