Edito du Kiosque : Les blanchisseurs

Les grands événements internationaux, et le sport en particulier, constituent les nouveaux vecteurs de communication de nations peu vertueuses. Le football est emblématique de ce phénomène indécent, entièrement régi par le pouvoir de l’argent.

Loin des yeux, loin du coeur. Nous le savons tous, l’éloignement altère la compassion, l’émotion, le sentiment légitime normalement sublimé par la parenté réelle ou supposée du traumatisme subi. « Tambour lointain n’a pas de son *» et on ne prête guère d’attention aux détresses exprimées à distance respectable de nos indignations. Mais il est parfois des faits présents d’une actualité légère qui font jonction avec un passé simple, nauséabond. En ce sens, le foot et son « mercato » mercantile met en vitrine un prince héritier, Mohammed Ben Salmane, MBS pour les nouveaux intimes en quête de faveurs aurifères, dont le pétrole cher à leur standing institutionnel. Ce sémillant trentenaire, descendant du trône d’Arabie saoudite, désormais Premier ministre du royaume, est courtisé comme pût l’être Néfertiti par son Akhenaton ! Tous les nécessiteux se l’arrachent, frappés d’une amnésie collective opportune, affligeante. Le marchand d’essence a ses entrées aux temples de l’hypocrisie, est reçu en grandes pompes, à l’Elysée (3 fois depuis 2022) comme ailleurs, après des années de bannissement international suite, entre autres, aux sanglants événements du Yémen.

La nouvelle Mecque

Aujourd’hui, donc, MBS voit la vie en rose et arrose des parterres de courtisans pour redorer à grands frais le blason terni de sa monarchie tyrannique. La démesure, MBS l’exerce dans son interprétation très singulière des droits fondamentaux de l’homme, sa pratique chevronnée de la torture et de la peine de mort. Le 12 mars 2022, en une seule journée, furent décapités 81 condamnés, opposants, militants, blogueurs, petits délinquants ayant porté « atteinte au tissu social ». Tout le monde a oublié, surtout depuis qu’il a généreusement accordé aux femmes le droit de conduire ! Sous tutelle patriarcale bien sûr, en abaya, le corps entièrement couvert et les cheveux cachés. Un peu de respect quand même pour cette institution qui, à l’instar du Quatar, a engagé un puissant processus de séduction pour blanchir son âme et postuler à l’organisation d’une Coupe du monde de foot en 2030 ou 2034. Par prudence, les princes saoudiens ne confirmeront pas leur candidature sans la garantie d’un succès charpenté pas à pas par la corruption des instances participatives à la décision. Le Président de la Fédération internationale de football (FIFA), Gianni Infantino, avait complaisamment porté les Qatariens, il en fera de même avec la royauté montante, aidé dans sa tâche par quelques ambassadeurs de marque appâtés par la manne financière de la nouvelle Mecque du ballon rond.

Ronaldo, Benzema et les autres

L’illustrissime Cristiano Ronaldo est déjà en pré-retraite dans la Saudi Pro League où le rejoindra bientôt son ex compère Ballon d’or du Real Madrid, Karim Benzema, pour un salaire annuel équivalent de 200 millions d’euros, soit 54 000 euros par jour. Autre membre vieillissant de l’équipe de France, N’golo Kanté, s’apprête à faire croisière vers la mer Rouge (100 millions d’euros), devançant vraisemblablement l’attendrissant Hugo Lloris, en recherche prochaine de villégiature. Et alors, qu’en est-il de l’icône de Bondy dont les dizaines de millions de followers restent en haleine? Mbappé, en Arabie saoudite n’ira pas, du moins pas à présent, car trop jeune et obnubilé par son Eden de coeur, l’emblématique club madrilène. Le petit Kylian s’est épanoui sous les couleurs du Qatar, il subodore son apogée sous l’aile protectrice des Emirats arabes unis (sponsor du Real) et, dès que le vent tournera, il « s’en allera » vers la terre enchantée de notre ami MBS. A moins, sait-on jamais, qu’entre-temps, un zéphyr salutaire ne pousse l’ineffable dictateur nord-coréen Kim Jong-un à quêter un salut éternel via le sport, le foot et ses dérisoires hommes sandwichs qui dribblent aveuglément et sans conscience les pires réalités.

Georges Chabrier

* proverbe martiniquais

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