Nous vous en parlions dans un précédent article (relire ici), la 6e et dernière cloche du projet « A toute volée » de l’Abbaye de Fontevraud, vient de voir le jour. Le décochage de la dernière cloche a eu lieu le vendredi 24 janvier à la fonderie Cornille-Havard de Villedieu-les-Poêles en Normandie. Celle-ci se nomme évidemment Robert, en hommage à un certain Robert d’Arbrissel, fondateur de l’Abbaye de Fontevraud. Il s’agit de la dernière et plus imposante (près de 2 m de haut et pesant 4,5 tonnes) cloche de son projet « A toute volée ». Il s’agit du bourdon, comme on le nomme dans la tradition campanaire. Le décor de cette cloche a été confié à Françoise Pétrovitch qui a réalisé une résidence à l’abbaye en 2022. Elle sonne le glas de 7 années de travail sur ce projet qui vise à redonner vie à la sonnerie de l’Abbaye de Fontevraud qui a connu jusqu’à 20 cloches sur son site, dont une grande partie a été fondue pour en faire de la monnaie durant la Révolution (Relire notre article Histoire locale. Les cloches de l’Abbaye de Fontevraud). Les visiteurs pourront admirer Robert et l’entendre sonner dès avril 2025 dans les jardins.
Robert d’Arbrissel, fondateur de l’Abbaye de Fontevraud
Robert d’Arbrissel fascine autant qu’il contrarie. Son allure dépenaillée et sa proximité avec les femmes auprès desquelles il éprouve sa chasteté lui valent la réprobation de sa hiérarchie. Grand orateur, il impressionne le pape Urbain II qui lui donne une mission de prédication. En 1101, il installe sa communauté à Fontevraud dans un ordre double dont il confie la gouvernance à une abbesse à sa mort. Robert d’Arbrissel choisit le vallon de Fontevraud pour établir sa communauté. Depuis quelques années et au fil de ses pérégrinations dans l’Ouest de la France, ce moine itinérant a rassemblé autour de lui des hommes et des femmes de toutes conditions grâce à ses talents exceptionnels d’orateur. Prenant appui sur la règle bénédictine, il organise à Fontevraud une vie retirée. Construite en 1101, l’abbaye a été pensée dès sa création comme une « fondation bien singulière ». Elle se distingue des autres abbayes du fait d’avoir toujours été dirigée par des abbesses (pendant 7 siècles, 36 se sont succédées). Sa vocation, accueillir des hommes et des femmes issus de toutes conditions dans la même enceinte, pour prier et contempler, fait d’elle un lieu unique. Dans cette abbaye, Robert d’Arbrissel construit un ordre double. Moines et moniales sont accueillis séparément dans quatre monastères : le Prieuré Sainte-Marie pour les « contemplatives », le Prieuré Sainte-Marie-Madeleine pour les sœurs « converses », le Prieuré Saint-Jean-de-l’Habit pour les convers et le Prieuré Saint-Lazare pour les sœurs soignant les lépreux. La fondation rencontre un grand succès et l’ordre essaime rapidement sur un vaste territoire entre l’Angleterre et l’Espagne, où plus d’une centaine de prieurés s’établissent en moins d’un siècle.
« Robert » vu par Françoise Pétrovitch
« J’ai reçu la commande du décor de la cloche nommée « Robert », d’après Robert d’Arbrissel (1047-1117), le fondateur de l’Abbaye de Fontevraud. Le programme iconographique que j’ai proposé fait écho à la vie de Robert d’Arbrissel, qui, bien que prédicateur, a prôné l’austérité et vécu en ermite dans la forêt. Auréolé d’un prestige charismatique et d’un pouvoir fédérateur, il fonde l’Abbaye de Fontevraud en 1101. Il y rassemble moines et moniales, dans une perspective égalitaire entre femmes et hommes, en totale rupture avec les usages. Il n’hésite pas non plus à désigner une femme à la tête de l’Abbaye ce qui lui vaut, au prisme moderne, d’être considéré comme féministe. Novateur, non conformiste, perpétuellement en mouvement, Robert d’Arbrissel ne s’est jamais fixé, même après la fondation de l’Abbaye. J’ai voulu incarner ce mouvement dans la composition. Trois figures de profil – Robert et deux abbesses – se croisent sans se rencontrer. L’une des femmes est tête en bas, cheveux aux vents, dans une vision de renversement du ciel et de la terre. La nature est très importante dans la vie de Robert d’Arbrissel : il a vécu en ermite, dans la forêt de Craon, et a prôné la pauvreté. Sa liberté absolue, son dévouement total à la foi, me font penser au passionné Rimbaud. Constamment en déplacement, intranquille, j’ai voulu retranscrire sa vitalité dans mes choix graphiques pour la cloche. Le sentiment d’un mouvement est rendu grâce à l’espace non illusionniste, où la nature – les arbres, les oiseaux – est très présente. Je la traite dans l’esprit du Moyen Âge, comme une représentation stylisée, où les figures de profils s’étagent de manière symbolique. »
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