Le Kézako du Kiosque. Entente commune

Tout le monde connaît cet événement international annuel, comme si cette émission était diffusée à la télévision depuis la nuit des temps. Des dizaines de pays participants, des centaines de chansons et de musiques originales, l’Eurovision est une machine gargantuesque sur tous les plans, mais au fond, kézako ?

Le Concours de l’Eurovision entre dans la logique de construction et de consolidation de l’Union Européenne (oui, à l’instar des différents assemblages politiques au sortir de la Seconde Guerre mondiale). Le projet veut, initialement, permettre aux habitants du Vieux Continent de se retrouver autour de valeurs communes, le temps d’un spectacle grandiose diffusé chez tous les membres. Dans les années 1950 a été créée l’Union Européenne de Radio-télévision (UER), dans le but de coordonner des programmes, d’aider à la coproduction internationale et sert aussi à organiser de grands événements fédérateurs.
C’est à peine 5 ans après sa création qu’est née l’Eurovision, sur l’idée de deux hommes, Sergio Pugliese, auteur-scénariste de la RAI, et Marcel Bezençon, directeur général de la télévision publique suisse. Le 24 mai 1956 a eu lieu la première édition du concours, avec les pays ayant contribué à son élaboration, l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, l’Italie, la Suisse et les Pays-Bas. Cela s’était tenu en Suisse, et c’est l’hôte qui a gagné. Sachez que l’Eurovision a très peu évolué depuis sa création originale, puisque les règles qui régissent le programme se sont quasi figées dès 1957. Ce sont des jurys nationaux qui délibèrent et offrent leurs points aux prestations des autres pays, puis c’est au grand gagnant d’héberger l’événement l’année suivante. L’émission s’est ensuite adaptée aux progrès techniques (passage à la couleur, microphones sans fil, télévote, diffusion en direct sur internet, etc.). A l’heure actuelle, chaque pays ne peut présenter qu’une seule chanson originale et non commercialisée, jusqu’à 6 artistes sur scène, et s’assurer de demeurer apartisane et apolitique. Et pourtant…

Florilège de controverses

Faire cohabiter autant de nations ne pouvait se faire sans heurt. Si l’événement se concentre uniquement sur la musique et le chant, impossible de faire taire les inimitiés géopolitiques entre les membres. Avec un nombre grandissant de participants, l’UER a dû s’adapter, créant des présélections (les demi-finales), desquelles les pays fondateurs étaient exemptés (ceux qu’on appelle les “Big Five”, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Allemagne) ainsi que le pays organisateur. Il faut tout de même s’imaginer que le concours de l’Eurovision ne s’est jamais arrêté depuis sa création en 1956 (excepté pendant la pandémie du Covid-19 pour l’édition de 2020), et qu’il a donc traversé les crises de la 2e moitié du XXe siècle. Le premier incident remonte en 1964, où certains s’émeuvent qu’on puisse tolérer que deux dictatures militaires concourent : l’Espagne et le Portugal. L’émission a d’ailleurs été perturbée par des partisans pro-démocratie. En 1978, une partie du Maghreb et Proche-Orient choisit délibérément de tronquer la diffusion du concours au moment de la prestation d’Israël, allant jusqu’à proclamer la victoire du second (la Belgique) au détriment de l’État hébreu pourtant gagnant. Et que dire des relations opposant l’Ukraine à la Russie depuis 2014, Moscou accusant régulièrement le concours de propagande anti-russe, cela aboutissant en 2022 à la victoire quasi automatique de l’Ukraine meurtrie, forçant l’Eurovision à se tenir dans le pays sorti second : le Royaume-Uni.

Visions divergentes

Fort d’une audience titanesque pour un télé-crochet, le concours de l’Eurovision n’a pas à rougir de sa longévité. En effet, le nombre de spectateurs est impressionnant, avec un pic en 2016 avec près de 204 millions de téléspectateurs à l’international. Pourtant, il est loin de faire l’unanimité en Europe. Très souvent perçu comme ringard par les publics d’Europe de l’Ouest, ce sont davantage les frasques parfois très limites des commentateurs qui sont retenues plutôt que les performances artistiques. Là où les spectateurs d’Europe de l’Est et des pays scandinaves en redemandent chaque année, le show apparaissant comme un rituel incontournable. Le concours a aussi permis à des communautés d’affirmer leurs messages pour tenter de faire évoluer l’opinion publique vers davantage de tolérance et de paix. C’est aussi, pour certains artistes, un formidable tremplin pour promouvoir leur musique ou leur personnalité. On peut également retenir que le programme lui-même en a largement inspiré d’autres à travers le globe, notamment en Asie (depuis 2007) et aux Etats-Unis (depuis 2022).
Objet singulier de la pop-culture, le concours de l’Eurovision s’est imposé comme un rendez-vous intergénérationnel d’une ampleur rarement atteinte pour un programme télévisuel. Que nous aimions ou non, nous connaissons tous, et ça, c’est bien la preuve que la formule marche.

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