L’édito de la semaine : Douces violences

Les dérives et la maltraitance constatées dans les établissements d’accueil des personnes fragiles ne sont pas l’apanage des Ehpad. Le monde de la petite enfance est frappé par ce fléau révélateur des maux profonds qui gangrènent nos sociétés.

« L’argent, ah ! Maudite engeance, fléau des humains, maître corrupteur,… il pervertit les consciences ». Depuis l’an 400 avant J.C , les choses n’auraient-elles pas changé ? Cette citation portée par Sophocle dans le dramatique récit « Antigone » nous permet de croire que non. La nature reste et l’homme passe, se soumet encore dans ses plus vils penchants, au détournement de la raison. Avec la sombre affaire des Ehpad du groupe Orpéa, nous pensions avoir touché le fond, l’abject d’une logique de rentabilité organisée sur le dos de populations fragiles et dépendantes, de nos aînés. Et voilà qu’au détour d’un fait divers tragique, la mort d’une bébé de 11 mois dans une crèche lyonnaise, en juin dernier, un nouveau scandale éclabousse le monde de la toute petite enfance. L’univers des crèches collectives est mis en cause dans un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) constatant les risques « de dérives et de maltraitance individuelle et institutionnelle » dans les établissements accueillant nos chérubins. Après quatre mois d’investigations menées dans huit départements (36 établissements visités) et les retours argumentés de milliers de professionnels questionnés, le constat est sans appel. Il faut agir vite et fort pour éradiquer toutes les formes de maltraitance constatées une nouvelle fois sur des populations particulièrement vulnérables. Des punitions humiliantes (isolement, coin), des défections (soins, couches non changées, repas sautés…) de l’inconfort (bruit, promiscuité, manque de lits…) rien ne semble épargné aux enfants non plus considérés comme des personnes, mais comme des objets de soins… payants. Et, pour compléter ce tableau de l’apocalypse, il faut ajouter quelques touches de « douces violences » (gestes brutaux pour le mouchage, déplacements…) de propos colorés (« tu pues », « t’es moche »…) imposés par un environnement délétère. Dans ce contexte propice aux dérives inadmissibles justifiées par de simples logiques financières, s’impose un devoir urgent d’appréciation et de contrôle des établissements habilités.

Logiques de remplissage

En amont, priment les critères de sécurité, repus d’exigences et de normes mais, au-delà, l’effort essentiel doit être accompli sur les standards de qualité dont on mesure mal, à court terme, les effets potentiels pour endiguer la crise. Le mal est profond et récurrent dans des métiers astreignants, peu attractifs et mal rémunérés. Fidéliser les personnels devient insoluble et, immanquablement, les enfants subissent les dommages engendrés par les situations de sous-effectifs croissantes. Les logiques de remplissage sont en discordance avec des modèles d’exploitation susceptibles d’écarter tous soupçons de malveillance. A l’instar de personnes âgées dans les Ehpad, les enfants des établissements d’accueil ne doivent, en aucun cas, subir les dommages d’une gestion conditionnée par le confort de résultats financiers. Le désengagement de nombreuses collectivités a précipité le mouvement dont le ressac passe par une volonté sans faille des pouvoirs publics, par l’apport de moyens (formations et finances) en adéquation avec un enjeu majeur de notre société. L’argent fait défaut, parfois, mais souvent dès lors qu’il s’agit de récompenser à sa juste valeur le travail accompli. Un grand débat se profile sur le sujet au sortir de l’épisode de la réforme des retraites. Les Français travaillent bien, sont productifs, mais aspirent à une qualité de vie professionnelle, un épanouissement personnel, meilleurs. Le bât des rémunérations pèse sur leurs aspirations, sur leur pouvoir d’achat, sur le sentiment d’inéquité de leur condition. Le niveau très élevé des burn-out est inquiétant (chez les femmes notamment), le temps du dialogue et de la réconciliation est attendu, essentiel, indispensable.

Georges Chabrier

Commentaires 5

  1. Arnaud says:

    La recherche de rentabilité est le principal fléau.
    S’agissant de personnes fragiles, enfants, personnes âgées sans oublier les personnes en situation de handicap ou assistées à domicile, des contrôles indépendants, inopinés et fréquents doivent être la règle pour prévenir toute dérive. Le ratio d’encadrants par résident ou patient est, en France, beaucoup trop faible par rapport à nos voisin européens, tout comme le niveau de rémunération de ces professions .

  2. Francis Prior says:

    Je n’ai pas vu dans le rapport de l’IGAS cette mise en cause virulente des structures lucratives. J’y ai lu au contraire un mal lié à un manque de qualification et de goût pour ce travail

  3. Cabaret says:

    Expliquez donc comment le nombre et la fréquence d’inspections, impossibles avant la parution du fameux bouquin sur ORPEA, ont été possibles du jour au lendemain sans recrutement d’inspecteurs. On est actuellement dans la même situation pour les crèches. C’est l’état qui ne fait pas son travail. Ces contrôles sont pourtant prévus par la réglementation.

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