Projets de réformes : Les petites villes de France ne veulent pas être oubliées

Réunis à Millau les 1 et 2 juin 2023, pour les XXVes Assises de l’APVF, au moment où le pays connait un certain nombre de tensions sociales et où le malaise démocratique s’intensifie, les Maires des petites villes ont tenu leurs débats "dans un contexte de grande gravité et ont réaffirmé une fois encore, le rôle incontournable des petites villes sur l’échiquier territorial et leur volonté de ne pas être oubliés dans les projets de réformes en préparation." Le communiqué transmis par Frédéric Mortier – Maire de Longué-Jumelles – Membre du Bureau National et Référent Départemental pour le Maine-et-Loire.

« Mais ils ont également souligné les atouts dont disposent les petites villes pour relever les défis qui se présentent à elles. Les dernières Assises, tenues à Dinan en septembre dernier, avaient mis en évidence la triple fracturation politique, sociologique et territoriale du pays, illustrée par les résultats des dernières élections présidentielles et législatives. De fait, nombre d’observateurs ont été frappés par l’importance des manifestations ces derniers mois dans plusieurs villes petites et moyennes, dont les motivations semblent aller bien au-delà de la simple question des retraites. Une nouvelle fois, c’est tout une partie de notre territoire, celle qui souffre le plus de la désertification médicale, des conséquences de l’inflation, notamment sur le coût de l’énergie et de l’essence, celle qui souffre de la disparition et de la déshumanisation des services publics, celle qui a également souffert de la désindustrialisation, qui a manifesté son inquiétude et parfois de la colère. Dans ces conditions, les Maires des petites villes appellent plus que jamais le gouvernement à prendre la mesure exacte de la situation et à mettre la cohésion sociale et territoriale au premier plan de son action, et à opérer un changement de braquet des politiques publiques ainsi qu’à poursuivre avec encore plus de détermination les politiques de rééquilibrage territorial.
Car, nous ne dirons pas que rien jusqu’ici n’a été fait – les programmes Petites Villes de Demain, Action cœur de ville, ceux de l’agenda rural ou encore Territoires d’industrie – pour appréciables qu’ils soient, sont encore loin d’avoir déployés tous leurs effets.
Car les défis que notre pays va devoir relever dans les prochaines années sont d’une telle ampleur qu’ils appellent une collaboration nouvelle entre l’Etat et les collectivités territoriales. L’implication indispensable de ces-dernières ne sera possible que si l’Etat et les collectivités établissent de vraies relations de confiance tout particulièrement dans le domaine des relations financières, au sujet desquelles l’APVF demande plus de visibilité, de clarté et de respect.

Les Maires des petites villes ne sont nullement dans le déni. Ils connaissent la réalité de la situation financière du pays, le poids de la dette publique et les conséquences négatives que fait peser la remontée des taux d’intérêts, y compris sur les budgets locaux. Ils rappellent cependant que la Cour des comptes a adressé un satisfecit à la gestion financière des collectivités territoriales et que ces-dernières ne sauraient être tenues responsables de la dérive des déficits publics de l’Etat. Ils rappellent en outre que pour faire face à l’envolée des prix de l’énergie et aux autres conséquences de l’inflation, ils n’ont plus que la taxe foncière comme seule marge de manœuvre fiscale. Profondément conscients de leur responsabilité collective, les Maires des petites villes participeront aux Assises des finances publiques en demandant notamment plus de visibilité et de lisibilité dans l’évolution de leurs recettes et que soit mis fin à l’inflation normative coûteuse et immobilisante et ils demandent enfin de retrouver des marges d’autonomie financière et fiscale. Le panier des recettes des collectivités locales doit cesser d’être la variable d’ajustement des politiques économiques et budgétaires nationales.
D’autre part, ils souhaitent que soit mise en débat la proposition d’une contribution universelle, fut elle minimale et symbolique pour les moins aisés, qui permettrait de retrouver un lien fiscal entre les collectivités et l’ensemble des citoyens. Contribuer au financement des services publics par l’impôt est constitutif de la citoyenneté. De surcroît, face au « mur d’investissement » auquel les petites villes vont devoir faire face – financement de la transition écologique, de la rénovation thermique des bâtiments, production de logements, politique du grand-âge, etc. – ils demandent au gouvernement de ne pas entraver les capacités d’investissement des collectivités dans les prochaines lois de finances et lois de programmation. En raison de la persistance d’un fort taux d’inflation, l’APVF réitère sa demande d’une indexation sur l’inflation de la dotation globale de fonctionnement et continue de s’interroger sur la pertinence de la suppression de la CVAE dont le coût total s’élèvera pour l’Etat à plus de 8 milliards d’euros.

Elle appelle le gouvernement non seulement à ne pas couper les ponts avec les collectivités territoriales mais à développer une concertation pérenne et respectueuse de la parole donnée.
Cette concertation sera d’autant plus nécessaire que les défis à relever collectivement par l’Etat et les collectivités territoriales s’avèrent considérables. Les petites villes vont en effet devoir faire face à un « mur d’investissement ». Celui-ci concerne tout d’abord le financement de la transition écologique. Dans cette optique, l’APVF demande une pérennisation et une indispensable montée en puissance du « Fonds vert » et demande à l’Etat un réel effort de simplification et de clarification afin de faciliter l’accès des petites villes à ce fonds.
Le changement climatique et les vagues de chaleur successives auxquels notre pays va devoir de plus en plus faire face pose la question de la ressource en eau et de la mise en place de politiques de sobriété. Dans ce domaine encore, les besoins de financement sont immenses. Il faut sans tarder mettre en place une politique de l’eau gérée à l’échelle locale, permettant de tenir ensemble la production, l’adduction et le traitement de l’eau, en n’oubliant pas la prévention des inondations et la simplification du cadre règlementaire pour permettre le développement d’usages alternatifs à la consommation d’eau potable.
Comme vient récemment de le dire très clairement l’économiste Jean Pisani- Ferry dans son rapport consacré au financement de la transition écologique, c’est à une décennie d’efforts massifs en matière de financement à laquelle il nous faut nous préparer. Cet effort, pour être accepté, devra être réparti équitablement. L’APVF appelle donc l’Etat à dessiner sa trajectoire de financement de la transition écologique et à convaincre nos partenaires européens de sortir ces investissements du calcul des déficits publics des Etats membres.

Concernant l’offre de soins dans les territoires et l’aggravation de la désertification médicale, l’APVF appelle l’Etat à prendre enfin des mesures courageuses et à s’engager dans la voie de la régulation de l’offre de soins. Elle accueille donc très favorablement la proposition de loi transpartisane à l’initiative du Député Guillaume Garot signée par plus de 200 députés appartenant à 9 groupes parlementaires différents, proposant un conventionnement sélectif, et émet le vœu que le gouvernement en facilite rapidement l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale.
Il n’est d’autre part plus acceptable que les délais pour obtenir un rendez-vous médical ne cessent de s’allonger, au mépris de la santé. L’APVF souhaite donc que soit mise en débat la proposition d’un droit opposable à la santé, à l’instar du droit opposable au logement, afin d’obtenir un rendez-vous médical dans un délai d’un mois maximum à moins de 30 minutes de chaque lieu d’habitation, sur tout le territoire de métropole et d’Outre-Mer.

Alors que le logement est le premier poste de dépense des Français, l’APVF attire également l’attention du gouvernement sur la crise du logement qui ne touche pas simplement les métropoles, mais largement aussi les petites villes. Il s’agit là d’une véritable bombe sociale à retardement. Avec la remontée des taux d’intérêts, la flambée du coût de l’énergie, l’accroissement de demandes de logements sociaux, de plus en plus de nos concitoyens sont mal logés, ont de plus en plus de mal à payer leurs loyers, et sont dans l’incapacité de devenir propriétaires, alors même que les mises en chantier de nouveaux logements s’effondrent. L’APVF appelle donc l’Etat à réagir vigoureusement et à se réengager financièrement car une nouvelle baisse du budget du logement ne serait pas acceptable et aggraverait encore la situation. C’est dans les petites villes que l’on trouve encore le plus de foncier disponible. Le choc d’offre annoncé en 2017 et tant attendu doit pouvoir maintenant se concrétiser.
Car le désir de petites villes est une réalité. Dans les prochaines années, celles-ci devront accueillir de nouveaux habitants. Dans ces conditions, l’APVF constate que la suppression de la taxe d’habitation a privé de nombreuses collectivités de marges financières nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants. Tout autant que la construction de nouveaux logements, c’est sur la reconquête de logements vacants et du logement indigne qu’il faut faire porter tous nos efforts. L’APVF demande donc que soient donnés aux Maires des petites villes les moyens nécessaires, financiers comme techniques, pour y faire face. Ce sera la meilleure réponse que l’on pourra apporter au défi de la sobriété foncière.

Car malgré des difficultés et des faiblesses structurelles, les petites villes disposent d’atouts bien réels qu’il s’agit encore davantage de valoriser.
Nos petites villes sont attractives : 70% des emplois industriels sont localisés dans les villes de moins de 20 000 habitants. Elles attirent de plus en plus d’investissements étrangers puisque ce sont 70% des Investissements Directs Etrangers et 70% des créations d’emplois qui se font dans nos collectivités. C’est dire que la reconquête industrielle du pays passera prioritairement par les petites villes. Celles-ci doivent de relever le défi des « trois F » : celui de la formation, du foncier et du financement. Dans cette optique, l’APVF émet le vœu que la mise en place du « Zéro Artificialisation Nette », le ZAN, un objectif de transition écologique qu’il faut tenir, prenne en compte les réalités locales pour décliner les objectifs de sobriété foncière. Les arbitrages fonciers nécessaires doivent tenir compte des dynamiques économiques, sociales et démographiques de chaque bassin de vie et ne doivent pas rentrer en contradiction avec les objectifs de réindustrialisation ou de construction de nouveaux logements. Un ZAN mal maitrisé et mal accepté serait porteur de risques pour la cohésion sociale et territoriale. L’APVF attend du gouvernement des clarifications rapides.
L’APVF attire d’autre part l’attention du gouvernement sur l’importance des questions de mobilité pour les habitants des petites villes. Ces derniers ont été les plus impactés par la flambée des prix de l’essence. Elle demande donc une attention soutenue concernant les mobilités du quotidien. Elle prend acte de l’annonce récente du plan ferroviaire, en insistant sur la nécessité de maintenir les petites lignes ferroviaires qui participent au désenclavement et à la décarbonation des transports. Il faudra favoriser dans la mesure du possible la recherche d’alternatives au tout-voiture en soutenant et en investissant dans les transports collectifs.
Les habitants des petites villes sont de surcroît fortement concernés par le déploiement des Zones à Faible Emission (ZFE). Ce déploiement ne doit pas devenir une nouvelle bombe sociale, ni accroitre les risques de fracture territoriale. L’APVF demande à cet égard à l’Etat le lancement d’une grande campagne de sensibilisation et surtout un renforcement et une meilleure accessibilité aux aides pour les habitants des petites villes.

Alors que nous devons relever collectivement une multitude de défis, notre pays vit une crise démocratique qui se confirme et s’accentue depuis plusieurs années. En témoigne l’abstentionnisme croissant depuis vingt ans à chaque consultation électorale, nationale ou locale. En témoigne aussi la défiance, relevée par toutes les études, qui touche les décideurs publics nationaux et plus récemment locaux.
Plus préoccupant encore, la montée des incivilités, des insultes et des agressions verbales et physiques dont les Maires sont de plus en plus victimes. L’agression du Maire de Saint-Brevin, suivie de sa démission, en est malheureusement l’exemple le plus récent. La République ne peut abandonner ses élus.
L’APVF réaffirme solennellement qu’aucune menace, ni à fortiori aucune violence, n’est acceptable envers les Maires. Elle demande à nouveau à la Première Ministre et au Garde des Sceaux de mobiliser les parquets et de bien s’assurer qu’une enquête systématique effective et approfondie est menée dans tous les cas où une plainte est déposée. Elle attend du gouvernement et de la justice, célérité et sévérité.
La Ministre chargée des collectivités territoriales a récemment annoncé la création d’une cellule d’analyse et de lutte spécifiquement dédiée à la lutte contre les atteintes aux élus. L’APVF demande qu’elle soit dotée des moyens techniques et humains qui permettent de mener à bien le travail d’identification des agresseurs.
Ces mesures vont dans le bon sens mais l’APVF attire une fois encore l’attention du gouvernement sur le nombre particulièrement important de démissions de Maires depuis 2020. Outre la question des violences, de la complexité administrative et des risques juridiques, c’est bien la question de l’élaboration d’un véritable statut de l’élu qui relève d’une urgence démocratique.
Afin de remédier à la crise démocratique et de renforcer l’efficacité de l’action publique, le Président de la République a annoncé sa volonté de mener à bien une réforme institutionnelle. L’APVF ne peut que souscrire à ces objectifs et participe ainsi aux travaux de réflexion. D’ores et déjà, elle propose 4 grands chantiers de réflexion :
1) Donner aux collectivités territoriales de vrais moyens d’action et une réelle capacité de faire, ce qui suppose de retrouver avant toute chose une véritable autonomie financière et fiscale.
2) Rendre l’action publique plus simple et plus efficace, ce qui suppose de favoriser et de développer l’expérimentation.
3) Réarmer l’Etat dans les territoires après des années de cure d’amaigrissement.
4) Mettre enfin en place un statut de l’élu local modernisé et des indemnités décentes qui permettent l’engagement électif du plus grand nombre.
A l’issue de ces XXVes Assises tenues à Millau, les élus des petites villes repartent avec une conviction et un message clair. Une très large part de l’avenir du pays ; politiquement, économiquement et démographiquement, se joue dans les petites villes. Ils appellent donc le gouvernement à ne pas « couper les ponts » avec les territoires et leurs élus, mais tout au contraire à créer durablement un lien de confiance et de respect avec ceux qui, en première ligne, font vivre la République au quotidien. »

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