Keskidi. La chronique d’Hugo qui donne du sens aux mots #8 : Dire merde avant un spectacle

Nous parlons et employons des mots avant tout pour exprimer des idées. Pour se faire comprendre de son entourage, encore faut-il partager des références communes. Maximes, adages, proverbes, préceptes, dictons... tout un réseau d’images en kits, bien pratiques et aux origines assez hétéroclites qui veulent dire tout et son contraire. Cette semaine : "Dire merde avant un spectacle".

Imaginez, nous sommes en 2009, j’ai à peine 18 ans quand je monte pour la première fois sur scène pour une pièce de théâtre, et voici que l’on me bombarde d’une grossièreté. Merde, scande-t-on, merde, merde, merde. Un peu déboussolé, j’ai répondu merci (le trac, la confusion, tout ça). Grand mal m’en a pris, des mines déconfites m’annoncent qu’il ne faut surtout pas remercier ce genre d’encouragements, que ça porterait malheur. Formidable, pas de quoi calmer mon stress. Mais alors, en quoi ce gros mot s’apparente à une expression de sympathie ?

Avant toute chose, dire “merde” à quelqu’un aujourd’hui signifie souhaiter bonne chance. Si à la base cela se cantonnait uniquement au monde du spectacle, on l’utilise maintenant avant toute sorte d’événements importants (entretien d’embauche, oral, examen, etc). Vous êtes peut-être en train de vous demander si l’emploi de ce terme pas si charmant aurait un rapport avec les matières fécales, ce qui voudrait dire qu’on la prendrait pour ainsi dire… au sens propre ? Eh bien… Oui, pardi ! Le caca a à y voir. Remontons au XIXe siècle où le moyen de locomotion privilégié par les citadins est la calèche. L’ennui avec les chevaux,
c’est qu’ils ne patientent pas lorsqu’ils ont besoin d’évacuer tout cet avoine qu’ils mangent. Hors, il n’était pas rare que les fiacres, stationnant parfois longtemps devant les établissements de spectacle, le temps de laisser leurs voyageurs descendre, laissent derrière eux d’énormes quantités de déjections sur le rebord des trottoirs. Donc, finalement, un artiste pouvait presque mesurer son succès à la souillure malodorante laissée par le flot ininterrompu des hippomobiles. Plutôt original, n’est-ce pas ? L’expression est donc entrée dans l’usage, on souhaitait ainsi aux artistes qu’il y ait un maximum de crottin à l’entrée de leur lieu de représentation, synonyme de réussite. Les calèches ont disparu, remplacées par le diesel. Si l’odeur ne s’est pas vraiment arrangée avec la modernité, nous continuons de dire merde à nos proches pour leur souhaiter bon courage et bonne fortune !

Hugo

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